Les Échos de la Nature
"À l’écoute du vivant : un regard sur la biodiversité locale"
Il y a plus de trente-cinq ans, François Lecolle a posé ses valises à Fillé sur Sarthe.
Ingénieur, il était déjà passionné par les sciences humaines, et intrigué par le lien entre technologie et société. Depuis, sa vie s'est enrichie d'expériences, de découvertes, de titres : docteur en sociologie, sophrologue, père, puis grand-père, mais aussi d’un émerveillement jamais tari pour le monde qui l’entoure.
François, c’est ce regard attentif qu’on croise lors d’une balade en forêt ou d’une nuit étoilée : curieux de tout, des petites fleurs des chemins aux galaxies lointaines. Naturaliste amateur dans le sens le plus noble du terme, il observe, note, transmet. Aujourd’hui, il porte avec conviction un projet d'inventaire, d'information et de sensibilisation à la biodiversité communale, une initiative ambitieuse pour mieux protéger les espèces du territoire de Fillé sur Sarthe et nous alerter sur ces perturbateurs écologiques silencieux qui menacent leur équilibre et nos existences.
Mais son engagement ne s’arrête pas là. Il prend le temps d’aller à la rencontre des enfants de l'école Saint Charles à Fillé sur Sarthe, de semer des graines de savoir lors d’ateliers en plein air, dans cette "école du dehors" qui ouvre les esprits autant que les fenêtres. Avec lui, les sciences se racontent, la nature se découvre, et chaque question devient un chemin vers une nouvelle curiosité.
Ce qui le pousse ? Une double passion : apprendre, et transmettre. Car François en est convaincu : plus on découvre, plus on comprend que l’on connaît peu… et c’est précisément ce qui rend l’aventure si belle.
Les publications complètes de François Lecolle
- Pollution lumineuse, pollution sonore
- Alerte à la disparition des pollinisateurs
- Richesse des sols forestiers
- Frelons asiatiques
Pollution lumineuse, pollution sonore
Les économistes utilisent un concept à l’appellation barbare : les « externalités négatives ». Une « externalité » est le fait qu’un « agent », entreprise, association, administration, citoyen, crée, par son activité, un produit ou un service qui a une utilité ou qui constitue une nuisance pour son entourage et son environnement sans que pour autant cela génère un paiement. On parle d’externalité positive si cela crée un avantage dans l’entourage de l’agent, par exemple la prise de valeur de l’immobilier due à l’extension d’une ligne de tramway, avantageuse pour les propriétaires et les bailleurs, et d’externalité négative lorsque les conséquences sont dommageables pour l’entourage sans que l’agent en paye le prix, par exemple la même prise de valeur de l’immobilier due à l’extension de la même ligne de tramway, nuisible pour les locataires et les acheteurs, ou le supplément de bruit ambiant, pour les habitants.
L’activité économique, et plus largement l’activité humaine, crée de nombreuses externalités dont, malheureusement, la plupart sont négatives. Il suffit de voir les articles expliquant cette notion, qui donnent sans difficulté de longues listes d’externalités négatives et peinent à signaler des externalités positives.
Certaines externalités négatives sont bien connues. La plus emblématique, de nos jours, est l’émission de gaz à effet de serre. Chacun d’entre nous, dans sa vie courante comme via son activité professionnelle, est émetteur de ces gaz. Il n’est que de penser à l’utilisation que nous faisons de nos véhicules à moteur. Si nous devions payer le prix environnemental de nos émissions, gageons que nous en ferions un usage bien plus parcimonieux. Quoique : en réalité nous commençons à en subir les conséquences sur notre santé et sur nos finances, par exemple via l’augmentation des primes d’assurance des habitations liées à l’augmentation des risques environnementaux. Il suffit de demander leur avis aux habitants de la Somme, de Redon, de la région de Valence en Espagne ou de la ville de Los Angeles aux USA.
Il y a bien sûr beaucoup d’autres types d’externalités négatives liées à notre mode de vie. Puisqu’il s’agit ici d’une « rubrique nature », citons la pollution de l’air, des sols et des eaux par les pesticides et les « polluants éternels » ; la disparition de nombreuses espèces animales ; l’effondrement des pollinisateurs et le danger que cela crée pour nos approvisionnements alimentaires. Et les « voisins » à qui nous les faisons subir sont nos voisins humains mais plus largement tous nos voisins animaux et végétaux, c’est-à-dire notre milieu de vie, celui qui nous permet de vivre.
La pollution lumineuse et la pollution sonore sont des externalités négatives. Elles sont de graves conséquences sur la santé humaine, physique et psychique.
Commençons par la pollution lumineuse. Le constat est en général bien connu et ne fait guère l’objet de contestation. Il suffit, par exemple, de regarder une photo satellite de la Terre de nuit pour se rendre compte à quel point nos pays occidentaux sont éclairés. Et cela s’aggrave. D’après une étude scientifique parue début 2023, la pollution lumineuse au sol a augmenté de 10 % par an sur la période 2011 - 2022 en Europe et aux USA malgré les mesures adoptées par certains gouvernements pour la limiter et malgré les décisions d’extinction nocturne des éclairages prises par environ 10 000 communes en France dans la même période. 10 % par an, cela paraît peu mais c’est énorme : cela correspond à un doublement tous les 7 ans.
Cette pollution lumineuse perturbe, de manière différente selon les espèces, tout le cycle de biologique des êtres vivants : protection, nourriture, reproduction… Prenons des exemples.
Les chauve-souris ont besoin de la profondeur de la nuit pour se déplacer et pour chasser. L’ajout d’un simple lampadaire ou d’un éclairage à détection de mouvement à l’entrée d’un jardin sur leur cheminement habituel entre gîte et terrain de chasse constitue pour elles un obstacle infranchissable. Une prolongation en soirée de la durée d’éclairage a les mêmes effets, et des études ont montré qu’il suffit de retarder son extinction de 10 minutes pour perturber gravement leur alimentation. En effet, le début de la nuit est le moment où leurs proies sont les plus abondantes et accessibles et, après un jeûne de toute la journée, ces animaux très actifs et de très petite taille ont un besoin impératif et immédiat de nourriture. Mais, me direz-vous, et les chauves-souris qui tournent autour des lampadaires et qui y trouvent au contraire un terrain de chasse très riche avec les insectes attirés par la lumière ? Oui, mais en réalité cela fait illusion : ce comportement ne concerne essentiellement qu’une seule espèce de chauve-souris, la pipistrelle commune, alors que la France compte 36 espèces présentes sur son territoire, et les Pays de Loire une vingtaine.
Les vers luisants sont victimes de la pollution lumineuse. En effet, les lumières artificielles vont attirer les mâles et les empêcher de trouver les femelles, qui émettent une lumière moins vive. Avons-nous remarqué que nous ne voyons plus jamais, en saison, les dizaines de vers luisants qui illuminaient les pelouses de l’enfance de ceux qui sont aujourd’hui des grands-parents ?
Qui, parmi les (anciens) citadins, n’a jamais remarqué que les merles noirs chantent jour et nuit, et qu’on peut les entendre aussi bien à 3h du matin qu’à 3h de l’après-midi ?
Oiseaux, insectes, mammifères, reptiles, batraciens, araignées, tortues, poissons, plantes à fleurs, et y compris nous-mêmes êtres humains, les cycles biologiques de pratiquement tous les êtres vivants sont dérangés ou bouleversés par la lumière artificielle nocturne. Voici quelques exemples tirés d’un guide élaboré par l’Office français de la biodiversité (OFB), intitulé Trame noire. Méthodes d’élaboration et outils pour sa mise en œuvre (116 pages !), disponible en ligne :
« Pendant leur voyage, les oiseaux migrateurs se repèrent grâce au ciel étoilé. Déboussolés par les lumières des villes, ils peuvent tournoyer durant des heures autour de points lumineux et mourir d’épuisement ou de collision (tours éclairées, phares). Les oiseaux urbains diurnes ont leur rythme jour/nuit perturbé par les éclairages artificiels. Ne sachant plus faire la différence entre l’aube et la nuit, les mâles chantent jusqu’à l’épuisement toute la nuit. »
« Un excédent de lumière désynchronise fortement la saisonnalité des végétaux (apparition/disparition des fleurs et des feuilles) mais induit également un stress chez certaines espèces pouvant conduire à des maladies. De plus, une partie des insectes qui pollinisent les plantes, et dont dépendent 90 % des plantes à fleurs, vivent la nuit et sont très impactés par la lumière artificielle. Les fleurs soumises à des éclairages sont moins visitées par les pollinisateurs nocturnes que dans [les lieux] dépourvus de lumière. Cette pollinisation réduite se répercute sur la production de fruits. »
« Les cervidés (cerf, chevreuil…) ont des difficultés à franchir une route éclairée. Le rayon d’action de ces espèces animales est donc restreint par la lumière artificielle, limitant ainsi leur accès à la nourriture. Les éclairages affectent également le rythme de vie des mammifères (sommeil/temps d’activité). »
Et contrairement à ce que l’on pourrait penser a priori, à l’échelle continentale la pollution lumineuse est due à 80 % aux activités privées, particuliers, commerces et entreprises, l’éclairage public ne représentant que les 20 % restants.
La pollution sonore est, par nature, moins visible mais plus audible. Elle est aussi une des grandes caractéristiques de notre société. Nous en avons tous fait une expérience mémorable lors du premier confinement de 2020.
Nous vivons en zone rurale. De quoi est-elle composée ? Du bruit des véhicules, bien sûr, roulant souvent trop vite, le nombre de personnes qui se déplacent à pied ou à vélo restant parfaitement confidentiel. Mais aussi, et il n’est que de penser à une calme après-midi d’un samedi de printemps où l’on aimerait profiter sur une chaise longue du retour des beaux jours, nous connaissons bien l’activité obstinée des tondeuses, débroussailleuses, tronçonneuses, taille-haies et autres souffleurs de feuilles qui nous font savoir sans ambiguïté que le voisin du voisin de notre voisin est lui aussi dans son jardin.
Il y a quelques années, un bio-acousticien américain expliquait, dans un article scientifique, qu’il avait recherché pendant des années des emplacements sur le territoire de son pays où enregistrer les sons de la « nature » totalement exempts de bruits d’origine humaine, en se limitant à une durée d’un quart d’heure. Il n’en a jamais trouvé.
Des études scientifiques ont montré que pour pallier les difficultés à se faire entendre du fait de l’activité humaine, les oiseaux chantent plus fort. Oiseaux, mammifères, insectes, batraciens, à la période des amours, pour alerter leurs congénères, pour se retrouver et se regrouper, nombre d’êtres vivants communiquent par les sons. Les corneilles, mal aimées mais si intelligentes, utilisent pour leur communication environ 80 émissions sonores différentes. Avez-vous observé qu’une abeille qui vous tourne autour pour vous signifier que vous vous êtes un peu trop approché de sa ruche, sans pour autant essayer de vous piquer, émet un bourdonnement menaçant sans ambiguïté qui n’est pas du tout le même que son bruit de vol ordinaire ?
Comme le dit Bernie Krause, un autre bio-acousticien, avec le déclin du monde vivant, « un grand silence s’abat sur le monde naturel, alors même que le bruit des hommes devient assourdissant ».
Si je devais conclure ce bref aperçu, je ferais remarquer que nos émissions lumineuses et plus encore nos émissions sonores ne s’arrêtent pas aux limites de nos propriétés. Les tronçonneuses s’entendent à des centaines de mètres, tous les outils de jardin à moteur thermique sont audibles à grande distance. Il en est évidemment de même pour nos voitures et motos. Nous ne faisons en général pas exprès d’imposer leur bruit à nos voisins mais ils ne peuvent s’en protéger. Dès lors, nous avons le choix entre deux conceptions du « bon » voisinage, du « vivre ensemble ». La première consiste à affirmer que chacun est maître chez lui, que c’est son droit, qu’il y fait ce qu’il veut et que ses voisins n’ont rien à y redire. Typiquement, nous sommes alors en présence d’une externalité négative. La seconde invite à s’imposer de prendre en compte les conséquences sur les autres de nos activités, dans l’intention d’en minimiser les nuisances. Laquelle de ces deux options pourrait être qualifiée de « faire société » ? Je laisse le lecteur établir son propre choix.
Comme l’écrit le journaliste scientifique britannique Ed Yong, « sauvons le silence et préservons la nuit ».
Pollution lumineuse, pollution sonore – © François Lecolle – Janvier 2025
Alerte à la disparition des pollinisateurs
La pollinisation, c’est le processus qui permet la fécondation des organes sexuels femelles des plantes à fleurs, les ovaires, par les cellules mâles, le pollen, cette poudre blanche ou jaune qui nous crée des allergies. Une fleur fécondée donne une graine (ou plusieurs) ou un fruit.
Dans nos régions tempérées, le pollen est soit transporté par le vent – on parle de plantes « anémophiles », c’est-à-dire littéralement qui aiment (du grec phile) le vent (du grec anémo) –, soit par les insectes – et dans ce cas, il s’agit de plantes « entomophiles », qui aiment les insectes. Parmi les espèces végétales cultivées pour l’alimentation ou d’autres usages, en Europe 84 % d’entre elles sont entomophiles. Au-delà des plantes « utiles », la plupart des plantes à fleurs sont entomophiles et la raison en est simple : la dissémination par le vent est très aléatoire, ce qui amène les plantes concernées à produire des quantités gigantesques d’un pollen très fin et très fragile ; la dissémination par les insectes est bien plus efficace, les pollens concernés peuvent dès lors être plus gros et beaucoup moins abondants, et la plante dépense nettement moins d’énergie à les produire pour un succès reproductif mieux assuré.
Encore faut-il qu’il y ait des insectes.
Quatre grandes catégories d’insectes contribuent à la pollinisation : dans l’ordre d’importance, les hyménoptères, les diptères, les lépidoptères et le coléoptères. Les hyménoptères (des mots grecs hymen, membrane, et ptère, aile, à cause de la constitution de leurs ailes) sont le groupe comprenant les bourdons, les abeilles, les guêpes et frelons. Les coléoptères (ou ailes en fourreau, allusion à la transformation de l’aile antérieure en élytre dure et protectrice) comprennent les scarabées, coccinelles, hannetons, carabes, chrysomèles et autres charançons. Les diptères (en grec, deux ailes, car l’évolution a transformé leurs ailes arrières en petites « massues », bien visibles sur les tipules ou cousins, dont on pense qu’elles leur servent en vol pour contrôler leur trajectoire, un peu comme les gyroscopes des avions) comprennent les moustiques, les mouches et moucherons, les taons et, celles qui nous intéressent ici, les syrphes. Les lépidoptères (du grec signifiant ailes en écailles), ce sont les papillons. Les hélicoptères (en grec, ailes en hélice) ne pollinisent pas les fleurs.
Les abeilles domestiques, du fait de leur morphologie (poils branchus sur tout ou partie du corps), de leur alimentation adulte et larvaire exclusivement basée sur les ressources florales (nectar et pollen) et de leur comportement de butinage (fidélité totale ou partielle à une espèce de plante au moins pour la récolte de pollen lors d’un voyage de butinage), jouent un rôle primordial dans la pollinisation. Néanmoins les hyménoptères ne se limitent pas à cette espèce : il en existe un millier en France, et si les plus visibles sont des insectes sociaux (bourdons, quelques guêpes et frelons), la plupart sont solitaires. Ils sont tous essentiels pour la pollinisation des cultures : 80 % de nos fruits et légumes en dépendent, et au total 30 % de notre alimentation. Pour le dire autrement, sans pollinisateurs, c’est la famine.
Que vont chercher les pollinisateurs dans les plantes dites « mellifères » ? Deux choses, qu’elles produisent de manière inégale. D’une part du pollen, qui contient les protéines nécessaires au nourrissement de leurs larves ; d’autre part le nectar, liquide sucré parfumé, chargé en glucides, qui leur apporte l’énergie nécessaire à leur métabolisme et à leurs déplacements. Le nectar, c’est ce qui permet aux fleurs de les attirer, et en quelque sorte leur récompense. En le récoltant pour leur propre usage, les insectes transportent le pollen et le déposent sur les fleurs suivantes qu’ils visitent, et c’est exactement ce que les fleurs veulent leur faire faire, si on veut bien me pardonner cet abus de langage.
Mais… Problème… Les insectes pollinisateurs, et plus largement les insectes volants, sont en fort déclin. A vrai dire, le constat n’est pas nouveau, même si cela ne nous a pas fait changer de mode de vie. Plusieurs études européennes au long cours ont montré que leurs effectifs ont baissé d’au moins 80 % en trente ans. Une étude scientifique récente menée en Bourgogne à la demande de producteurs de cassis a même constaté un effondrement de 99 % des pollinisateurs. Nous avons d’ailleurs tous fait l’observation suivante : il y a 20 ans, lors de nos départs en vacances estivales, nous étions obligés de nettoyer régulièrement nos pare-brise ; de nos jours nous arrivons à destination avec des vitres pratiquement propres. Il n’est pas difficile de constater qu’on ne voit presque plus de papillons. Et, l’avez-vous remarqué, l’été dernier, en 2024, les guêpes avaient pratiquement disparu :
plus d’importuns autour de nos repas à l’extérieur ou de nos piques-niques, ni d’ailleurs sur les fruits tombés des arbres. Ne nous leurrons pas : ce déclin est extrêmement rapide, vertigineux, et nous met sérieusement en danger.
Ce qui précède ne devrait surprendre personne, la presse générale s’en étant largement fait écho. Si nous étions dans un monde normal… Imaginons que nous apprenions que notre banque pourrait déposer le bilan dans les mois ou les quelques prochaines années. Nous réagirions tous immédiatement. Dans un monde normal, l’annonce de la disparition des pollinisateurs et de la mise en danger de notre approvisionnement alimentaire devrait logiquement nous inciter à tout de suite adopter des solutions radicales, que nous soyons simples citoyens ou responsables de collectivités.
Parmi les multiples causes du déclin des insectes volants et parmi eux des pollinisateurs, nous avons prise sur certaines et peu sur d’autres.
Par exemple le réchauffement climatique engendre des décalages de calendrier biologique entre les plantes, les insectes et les oiseaux. Une partie des plantes fleurissent plus tôt et tendent à le faire trop tôt pour être pollinisées, avant l’apparition des insectes en nombre suffisant. De la même façon, la période d’apparition des larves d’insectes tend à se désynchroniser de celle de l’éclosion des jeunes oiseaux, rendant plus difficile le nourrissage de ces derniers. Les deux phénomènes engendrent une diminution des populations d’insectes et d’oiseaux, et en retour des plantes à fleurs. Mais si bien sûr nous sommes tous co-responsables du réchauffement climatique, l’ampleur du phénomène ne le met pas à notre portée directe.
Les pesticides, de la même façon, ont contribué au déclin constaté. Depuis 25 ans, le ®Glyphosate a fait un mal terrible aux pollinisateurs, détruisant entre autres des ruchers entiers : imaginez un tapis de 30 000 abeilles mortes devant chaque ruche, c’est ce qu’ont vécu les apiculteurs touchés.
Ce qui constitue par contre une cause qui nous est accessible du maintien ou de la régression des pollinisateurs est l’état du milieu naturel qui nous entoure. La pollinisation n’est pas un phénomène global comme la météorologie et le climat, elle se joue localement. La plupart des insectes volants ne se déplacent que de quelques dizaines de mètres pour se nourrir. On estime que les abeilles mellifères vont jusqu’à 3 km pour récolter pollen et nectar (ce qui est particulièrement éloigné si l’on raisonne en termes de rendement : énergie dépensée en vol contre énergie récoltée), mais bien sûr l’essentiel de leur activité se situe au plus près de leur ruche. Autrement dit, lorsque nous faisons des efforts pour le climat, nous les faisons pour l’humanité ; mais lorsque nous faisons des efforts pour les pollinisateurs, nous les faisons pour nous, localement. Tous les voisins d’un apiculteur le savent bien, quand ils constatent la productivité de leurs plantations.
Or pour pouvoir polliniser des plantes et, ce faisant, se nourrir, les insectes concernés doivent trouver… des plantes. Plus exactement des plantes mellifères, ce qui n’est pas le cas de toutes et assez peu de celles de nos parterres fleuris.
Fillé, comme ailleurs, est profondément touchée par l’artificialisation des surfaces. Il faut comprendre qu’il est deux types d’artificialisations. La première est bien connue : le remplacement de surfaces végétales en étendues de bâtiments, de béton, de bitume ou d’aires empierrées. La mise en place récente de plusieurs lotissements y a largement contribué chez nous. La seconde est moins violente, moins apparente, mais presque aussi destructrice : nos jardins et nos aménagements. D’un côté les pelouses tondues et quasi exemptes de fleurs, les parterres de cailloux pour éviter les « mauvaises herbes », les massifs de fleurs de jardinerie, magnifiques mais totalement exemptes de pollen et de nectar, les haies de délimitation uniformes, autant de déserts biologiques ; de l’autre les sous-bois qui ont été « nettoyés », les haies dont on a coupé et arraché tous les arbustes pour ne laisser qu’un alignement d’arbres, les talus, berges et accotements fauchés pour n’y maintenir qu’une herbe rase. La beauté et l’esthétique ? S’agissant des jardins comme d’autre chose, ce ne sont que la combinaison de goûts personnels, un peu, et de normes sociales, beaucoup. Il n’est que d’observer l’évolution des habillements et des modes pour s’en rendre compte. Ainsi nous contribuons tous, pour notre malheur, à la disparition des insectes. Et ne nous faisons pas d’illusions : si nous attendons que les autres, dans la Commune d’à côté ou un peu plus loin, fassent ce qu’il faut, eux attendent… que nous fassions ce qu’il faut.
Que pouvons donc engager comme actions pour favoriser, au moins un peu, l’existence des pollinisateurs et, ce faisant, protéger un peu notre sécurité alimentaire et l’agrément de notre
environnement ? C’est assez simple : planter des arbres fruitiers, des buissons fleuris, des fleurs des champs. Tout propriétaire d’un terrain de bonne taille devrait avoir un coin « sauvage ». Les parcelles qui appartiennent à la Commune pourraient être traitées en verger et en « jachères fleuries » (à la condition d’y mettre des plantes mellifères). Les accotements routiers, les berges, les bords des champs pourraient être fleuris de la même manière, au moins laissés à une évolution spontanée. Les surfaces en herbe (à l’exception du terrain de foot) pourraient faire l’objet d’un fauchage « différencié », avec plusieurs hauteurs de coupe effectuées à des périodes différentes. Tout ceci se fait les mains dans la terre, et c’est plus ou moins en adoptant les démarches contraires de ce que nous avons fait depuis des années que nous pourrons espérer préserver notre avenir et celui de nos enfants.
Pour finir, j’attire l’attention sur quelques plantes particulièrement précieuses pour les pollinisateurs. Ce sont celles qui fleurissent plus ou moins hors saison. La saison des floraisons, cela n’échappe à personne, est principalement concentrée d’avril à juillet. Auparavant, en mars et surtout en février, les fleurs sont rares. Au-delà, à partir d’août et de plus en plus vers la fin de l’année, il en est de même. Les plantes à fleurs de début et de fin de saison sont donc particulièrement utiles aux pollinisateurs qui sortent tôt (comme les bourdons) et/ou tard. Citons parmi les plantes précoces : les noisetiers et les saules (qui produisent des chatons), les aubépines si mal aimées à cause de leurs épines (mais je n’ai jamais été poursuivi par une aubépine, il faut dire que je cours plus vite qu’elles) et ensuite plus largement tous les arbres fruitiers de la famille des prunus (pruniers, cerisiers, pêchers). Et parmi les plantes tardives, il convient d’attirer l’attention sur le lierre, lui aussi mal aimé mais bien à tort, vital pour les pollinisateurs, qui fait ses fleurs à l’automne et produit des fruits hivernaux mangés par les oiseaux.
Il est temps que nous réapprenions à vivre ensemble, ensemble avec tous les vivants.
Alerte à la disparition des pollinisateurs – © François Lecolle – Janvier 2025
Richesse des sols forestiers
Il est intéressant de savoir que les arbres ne sont pas des êtres isolés. Ils sont reliés entre eux par toutes sortes de liens biologiques, dont les plus importants (et les plus connus) sont les mycorhizes (littéralement : champignons racines). Ces réseaux relient entre elles leurs racines et leur permettent d’échanger de l’eau, de la nourriture, des informations. On a ainsi montré que les arbres sont capables de soutenir un voisin malade ou mal placé et qui ne peut pomper suffisamment d’eau, capables aussi d’aider un jeune arbre dans les premières années de sa croissance. On a également prouvé que, lorsqu’un arbre est attaqué par exemple par des chenilles, il en avertit ses voisins qui modifient alors la teneur de leur sève pour qu’elle contienne des éléments répulsifs ou toxiques pour les prédateurs. On sait que cette aide se fait au sein d’une même espèce et également entre espèces, et qu’elle est d’autant plus « altruiste » (pour employer un anthropomorphisme) que les conditions de vie sont plus difficiles (stress hydrique, maladies, attaques de parasites, coupes de bois).
Lorsqu’on abat un arbre, ses voisins le savent1.
Lorsqu’on fait une coupe rase, on ne tue pas un groupe d’individus, on tue une société.
Outre les mycorhizes, le sol forestier est le milieu le plus riche que l’on puisse rencontrer dans nos régions, bien plus que n’importe quel autre. Il comprend des millions d’espèces d’êtres vivants dont la plupart n’ont pas été identifiées, dans la mesure où son étude a réellement débuté il y a seulement une vingtaine d’années. Un gramme de sol forestier de nos latitudes peut contenir jusqu’à un milliard de bactéries, un million de champignons, des centaines de milliers de protozoaires et près d’un millier de nématodes.
Le sol n’est jamais un substrat inerte. C’est pourtant ainsi qu’il est considéré depuis des décennies par l’agriculture intensive. Résultat : un appauvrissement catastrophique des sols cultivés, qui ne garantit plus sa fertilité qu’à l’aide des « intrants ». Les pratiques agricoles ont éliminé pour l’essentiel les êtres vivants du sol et, à force d’engrais (en particulier azotés), l’ont pratiquement minéralisé. Un vrai cercle vicieux.
Quand j’étais gamin, à la fin d’une matinée de pluie, sur les petites routes de campagne au milieu des champs on trouvait des milliers de vers de terre. Impossible de ne pas rouler dessus avec son vélo. De nos jours, on peut parcourir des kilomètres dans la campagne sans en voir un seul. Ils ont disparu, tués par les pesticides, le labourage profond et le tassement dû au poids des engins utilisés.
Les vers de terre et les micro-organismes ne fouillent plus la terre. Ils ne l’aèrent plus. Résultat : l’eau n’y pénètre plus. Il n’est que de voir les champs inondés lorsqu’il est tombé une bonne pluie. La capacité d’absorption d’un sol de prairie est cent fois plus importante que celle d’un sol régulièrement labouré. Le réflexe habituel est ordinairement de drainer pour éliminer l’eau. Malheureusement, on perd en même temps le limon, qui est la part la plus fertile des sols.
Voici le compte rendu d’une étude menée par des biologistes pour étudier les effets des différents types de coupes de bois sur la richesse du sol forestier (étude en Forêt noire, en Allemagne)2.
« […] leurs études comparent trois types d’exploitation forestière : la coupe rase, qui élimine tous les arbres d’un site donné ; la coupe de rétention par bouquets, qui préserve des bosquets d’arbres ; et la coupe de rétention dispersée, qui sélectionne les arbres à éliminer individuellement, en gardant une répartition uniforme. »
Les chercheurs ont fait des prélèvements de sols dans les trois cas et les ont analysés.
« […] les coupes rases ont réduit la biodiversité du sol et entravé les cycles des éléments nutritifs. L’exploitation forestière intensive a aussi fréquemment modifié la démographie des communautés du sol, permettant à un nombre relativement restreint d’espèces de dominer. Pour autant, toutes les méthodes d’exploitation n’ont pas été aussi néfastes. L’abondance, la diversité et l’activité des micro-organismes sont restées assez élevées dans les parcelles aux arbres uniformément dispersés. Sur les sites de rétention par bouquets, les chercheurs ont trouvé des communauté de microbes tout aussi vigoureuses seulement dans leur voisinage immédiat. Plus les chercheurs s’éloignaient des îlots d’arbres restants, moins il y avait de vie dans le sol. »
On retrouve clairement les effets courants de l’intervention humaine : appauvrissement et simplification du milieu. En d’autres termes, perte de biodiversité.
Si vous voulez en savoir plus, je vous invite à lire les ouvrages suivants, absolument passionnants :
- Stefano Mancuso, Alessandra Viola, 2015, L’intelligence des plantes, Paris, Albin Michel.
- Peter Wohlleben, 2017, La vie secrète des arbres, Paris, Les Arènes.
1 Avez-vous remarqué la chose suivante ? Nos contemporains n’aiment pas abattre des arbres, même s’ils le jugent nécessaire. Alors ils ne disent plus « abattre », ils disent « faire tomber ». Un euphémisme qui les protège.
2 Ferris Jabr, septembre 2022, « Le petit peuple des forêts », National Geographic Magazine, pp. 95 et 100.
© François Lecolle – Octobre 2022
Frelons asiatiques

Voici une belle photo d'un nid de frelons asiatiques plutôt spectaculaire. Il est devenu visible en novembre à la suite de la chute des feuilles. Il se trouve à au moins 15 mètres du sol. Il doit faire quelques 60 cm de haut pour le moins. En pleine saison, un tel nid abrite des milliers de frelons, vraisemblablement de l'ordre de 5 000.
Même s’il était encore actif au moment de sa découverte, le nid et ses occupants n’étaient pas dangereux en eux-mêmes. Les frelons sont réputés attaquer uniquement pour défendre leur nid dès lors qu'on s'en approche à moins de 5 mètres. Mais j'en connais deux, plus petits, près desquels je passe régulièrement à moins de 3 mètres sans dommage. Avec ce type de gros nid, c'est typiquement les élagueurs qui peuvent avoir de mauvaises surprises. Ceci étant, les nids ne se trouvent pas toujours au sommet des grands arbres et l'on en a découvert près du sol et même… sous une plaque d'égout ! Là, c'est vraiment dangereux.
Loin du nid, les frelons asiatiques n'attaquent jamais. Il m'est par exemple arrivé plus d'une fois d'en « claquer » un à main nue, il ne se passe rien. Rabattu au sol, il s'ébroue et s'envole, tourne pendant quelques instants, jamais menaçant, puis s'éloigne. Ceci étant, ce sont de vrais blindés volants : vous posez le pied dessus, vous appuyez, vous tournez le pied puis vous regardez ce qu'il se passe : au bout de quelques minutes, ayant récupéré, il est presque à chaque fois capable de reprendre son vol et de s'enfuir.
Près du nid, c'est tout autre chose. Il paraît toutefois que, si l'animal est impressionnant (mais moins que le frelon européen qui fait 4 cm de long alors que le frelon asiatique en fait 3), la piqûre n'est pas plus douloureuse que celle d'une guêpe. Dans tous les cas, il n'injecte qu'une petite partie de sa réserve de venin, ce n'est pas son intérêt de tout consommer. Mais, lors d'une attaque, il émet en même temps des phéromones d'alerte qui invitent les autres frelons à attaquer simultanément la même cible (marquée par l'odeur des phéromones). C'est comme ça qu'on peut se trouver aux prises avec des dizaines de frelons ou plus. Il est alors recommandé de battre le record du 100 mètres.
En novembre, le nid était en fin de vie. Il avait produit des « fondatrices » qui l’ont quitté pour trouver refuge, qui dans le sol, qui dans une vieille souche, afin de passer l'hiver. Les autres frelons (les ouvrières) meurent rapidement. Ce sont ces seules fondatrices qui, au début du printemps, comme leur nom l'indique fonderont chacune une nouvelle colonie… si on les laisse faire. Le nid lui-même, en tant que construction, n'est pas réutilisé. Il se détériore et disparaît en quelques années.
Le frelon asiatique est un prédateur très efficace. Si l'on estime que l'attaque d'un grand prédateur tel que le lion ou le loup réussit dans 10 à 15% des cas, le score du frelon asiatique est proche de 100%. Il faut le voir devant une ruche. Il fait deux fois et demi la taille des abeilles, dix fois leur poids : imaginez qu'un lion mâle adulte de 300 kg vous attende devant la porte de votre maison. Il s'attaque aux insectes volants parmi lesquels, donc, les abeilles domestiques mais plus largement tous les pollinisateurs. Leur présence contribue à la diminution de ces derniers de manière non négligeable et à la crise de la pollinisation vers laquelle nous nous dirigeons à grande vitesse.
Depuis l'apparition du frelon asiatique en France, les gouvernements successifs se sont parfaitement désintéressés de cette invasion, malgré toutes les actions menées par les scientifiques d'un côté, les apiculteurs de l'autre. Il est maintenant présent dans toute la France. Aucune action publique (sauf dans quelques communes qui ont pris la décision de contribuer localement à son élimination) n'a été entreprise pour simplement retarder l'expansion de ce fléau, les pompiers ne s'en occupent pas et la destruction des nids est entièrement à la charge des propriétaires des terrains où l'on découvre les nids, sans aucune obligation à ce sujet. Pour l'instant, la seule solution est le piégeage, si possible spécifique. Évitons entre autres de détruire les frelons européens qui sont, de leur côté, tout à fait utiles (ils sont protégés en Allemagne, sans dommages, depuis 1987).
Ceci étant, le frelon asiatique est un animal absolument fascinant. Constatons simplement que le nid, même haut placé comme il l'est, a parfaitement résisté aux vents violents de ces dernières semaines. Par la pensée, imaginons la dizaine, au moins, de sphères emboîtées qui le constituent, pleines de cellules pour les larves, toutes faites de « papier » c'est-à-dire de petites particules de bois grattées avec les mandibules et agglomérées avec la salive. C'est en observant le nid des guêpes que l'homme a eu l'idée de faire du papier avec du bois ; auparavant, il était fait avec de vieux tissus.
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